13 Octobre 2018
Salut les touristes ! Depuis deux jours nous sommes consignés au port, par Leslie, l’ouragan qui sème la panique au Portugal. Au départ il était prévu que sa trajectoire passe à Madère, pile poil là où nous sommes. Par chance, il a dévié de 250 kilomètres au nord de l’île. Malgré cela, on l’a bien senti passer.
Vendredi soir tout le personnel de la marina était en alerte et arpentait les pontons avec des lampes de poche pour vérifier que les bateaux étaient suffisamment amarrés, demandant aux navigateurs d’ajouter des aussières par ci, des défenses par là. Pendant toute la nuit, les bateaux ont tangué en crissant et en grinçant tant et plus. Ca vibrait et ça claquait dans tous les sens et on entendait le vent souffler par bourrasques. Au matin c’était le déluge. Et pourtant, dans le port on est à l’abri et on n’a eu que des vents de 60 km/h, alors qu'ils ont atteint 172 km/h sur les côtes portugaises.
Même si on voulait sortir du port, on ne pourrait pas. Le passage est barré par les aussières des autres voiliers, lestées par des pavés.
Comme l'île est très touristique, pour garer son voilier à Funchal, la capitale, il faut réserver longtemps à l’avance. Le temps qu’on comprenne cela, on était déjà relégués en 5e position sur une liste d’attente, sans aucune garantie de la date à laquelle une place se libérerait.
Au lieu d’attendre, nous avons choisi de nous arrêter dans une petite marina, la première quand on aborde Madère par l’est : Quinta do Lorde, vantée par notre guide maritime pour la gentillesse et l’efficacité de son personnel. Effectivement, au téléphone, la responsable a pris note de ma réservation dans un français très correct. Quand nous sommes arrivés à l’approche du petit port, un membre du personnel est venu à notre rencontre en zodiac, pour nous conduire à notre place, où deux autres personnes attendaient sur le ponton pour nous aider à nous amarrer. Le grand luxe !
C’est seulement une fois descendus à terre, que nous nous sommes rendu compte que ce que nous avions pris de loin pour un charmant petit hameau de pêcheurs, niché au creux de la montagne, est en fait un village 100% artificiel, type Eurodisney ou Center Park, avec des immeubles neufs peints en vanille-fraise-pistache, un soi-disant supermarché où l’on peut acheter des cacahuètes pour accompagner le vin de Madère ou des glaces pour faire taire les enfants et un restaurant dont il n’est même pas certain que le menu soit affiché en portugais.
A part cela rien. Pas de ville, pas de magasin, pas de café, pas de pêcheur. Juste quelques malheureux touristes égarés dans des rues désertes au pied d’une montagne pelée. Le seul commerçant, un Breton qui vend des articles pour bateau, nous a confirmé que la station ne rencontre pas un grand succès. (Pour ceux qui connaissent, c'est la même ambiance qu'au Val Joly.)
Pour nous rendre à Funchal le premier jour, nous avons pris le bus qui s’arrête juste à l’entrée du village, ou plutôt juste devant le portail, car cette cité de rêve, perdue au milieu de nulle part, est entourée de hautes grilles et étroitement surveillée par des caméras. Tout est tellement policé, qu’il n’y a même pas besoin de carte ou de code d’accès pour les douches ou la laverie, équipée d’une planche et d’un fer à repasser en libre service. Cela dit, le personnel est charmant, les pontons sont propres (c'est rare) et les installations confortables. Sur un simple coup de fil, le loueur de voitures vous livre une Fiat Panda au bout du ponton et, comme dans les contes de fées, il suffit de ramener le carrosse avant minuit pour éviter les ennuis.
En parlant de notre Fiat Panda de location, la pauvre a eu bien du mal à nous transporter dans notre visite acharnée de Madère et de ses reliefs. L’île, qui mesure 56 km d’est en ouest, sur 19 du nord au sud, est très montagneuse. En quelques kilomètres, et parfois quasiment en ligne droite, on passe du niveau de la mer à 1400, voire 1600 mètres d’altitude. Dans une étroite ruelle, très pentue, qui mène à l’église Nossa Senhora do Monte, au nord de Funchal, la Panda a carrément refusé d’obtempérer. Même en première, elle hoquetait sans avancer, si bien que Gilles a dû faire marche arrière, puis demi-tour en grommelant qu’il n’achèterait jamais de Fiat Panda.
Nous avons fait de belles randonnées, avec de magnifiques points de vue sur la mer ou sur les massifs voisins. Bien sûr, nous avons marché le long des levadas, ces astucieux canaux d’irrigation creusés dès le XVe siècle par des esclaves, pour apporter l’eau du versant nord, assez pluvieux, dans les plantations de canne à sucre de la face sud, beaucoup plus aride. Et nous avons admiré les nombreuses terrasses, également aménagées par des esclaves il y a bien longtemps, sur lesquelles aujourd’hui encore, sont cultivés des bananiers et des vignes.
Moi qui aime les plantes vertes et charnues, j’ai été servie. Même à cette saison, les routes sont bordées de massifs d’agapanthes, d’hortensias et d’hibiscus en fleurs, sans compter les espèces dont j’ignore le nom. Sur le moindre rond-point, les cactus et les plantes grasses mesurent trois fois ma taille, alors que dans mon salon, j’arrive tout juste à les faire pousser de 30 cm en leur parlant gentiment. Nous avons découvert plusieurs fruits : la banane-ananas, dont le goût et la texture évoquent réellement le mariage de la banane et de l’ananas, les fruits de la passion jaunes saveur citron, orange saveur orange, rouges saveur tomate ! Et ce gros fruit bombé et juteux, dont j’ai oublié le nom.
Vous le reconnaissez le touriste qui achète des bananes-ananas au marché de Funchal pour un prix exorbitant ?
Bref, ici tout pousse, y compris les touristes. Impossible de visiter un site ou d’amorcer une randonnée, sans avoir un groupe d’Allemands ou une famille d’Américains sur les talons. Alors on a décidé de prendre une mesure radicale. Dès que Leslie l’ouragan aura fini de mettre le Portugal sens dessus dessous, pour fuir les touristes, on part aux Canaries !
Au musée municipal de Funchal je suis tombée en arrêt devant ce bol en porcelaine chinoise du XVIIe siècle, l'époque où Madère importait de la porcelaine de Chine pour la revendre dans toute l'Europe. Je le trouve émouvant ce Christ aux traits asiatiques. Par la suite, les Portugais ont imité la porcelaine chinoise en la vendant beaucoup moins cher. Ca fait réfléchir.