4 Avril 2019
Chers amis, aujourd’hui je vais briser un mythe, voire casser votre rêve. Si vous imaginez que la navigation sur un voilier c’est la liberté totale, que depuis sept mois on vogue au gré du vent et on s’arrête quand on veut, où on veut, autant vous le dire tout de go : vous vous fourrez le doigt dans l’œil !
Car pour jeter l’ancre, il faut qu’il y ait une terre. Et toute terre, même le plus infime petit îlot perdu au milieu de l’Atlantique, appartient à un état, lequel est régi par des lois qui stipulent que pour entrer sur son territoire, il faut passer par les services de la douane et de l’immigration (customs and immigration).
A peine sortis de France, nous avons dû déclarer aux autorités espagnoles que nous étions arrivés dans l’un de leurs ports, alors que vous, si vous passez la frontière dans votre belle voiture, on ne vous demandera rien. En Espagne, il faut s’annoncer à chaque étape et déclarer de quel port on vient et dans quel port on envisage de se rendre par la suite. Mais bon, ça se fait auprès des autorités portuaires, en quelques minutes, ce n’est pas trop contraignant.
La vraie paperasse a commencé au Sénégal. Après avoir débarqué au Club de voile de Dakar, nous avons dû trouver un taxi, négocier fermement le prix, traverser tout Dakar pour aller nous déclarer à la police, puis reprendre le taxi pour nous rendre aux services des douanes. Je vous passe le détail du nombre de bureaux dans lesquels nous avons transité pour remplir des formulaires en veux-tu en voilà, pendant que les employés en uniforme regardaient tranquillement le foot à la télé (les hommes) ou une série romantique (les femmes).
A la fin de notre séjour, comme nous étions dans le sud du pays, perdus dans la mangrove, nous avons dû remonter à Dakar pour accomplir nos démarches administratives de sortie : deux heures de pirogue + trois heures de taxi aller et la même chose au retour. Cela nous a pris une bonne journée et coûté des milliers de francs CFA, mais au moins ça nous évitait de retourner barboter dans les égouts de la capitale avec Kornog.
Tout bleu, tout neuf, le commissariat de Sal Rei, au Cap Vert. Mais pour les formalités on était marron.
Vous pensez que c’est normal, que c’est l’Afrique, mais que, pour la suite du voyage, cela s’est sans doute arrangé. Que nenni ! Au Cap vert, nous nous sommes fait avoir. Après 48 heures de navigation difficile, nous avons jeté l’ancre, fatigués, devant l’île de Boa Vista. Malheureusement, et contrairement à ce que laissait entendre notre guide nautique, Boa Vista n’est pas une porte d’entrée officielle de l’archipel capverdien. Il n’y a que trois îles, sur les sept, où l’on peut débarquer en toute légalité. Après avoir gonflé l’annexe et passé plusieurs heures à arpenter les rues de Sal Rei, de commissariat en commissariat, nous nous sommes entendu dire par un policier charmant mais intransigeant, que nous devions nous rendre sur l’île de Sal, à une journée de navigation, pour nous mettre en règle. Ce que nous avons fait, après avoir replié l’annexe. Cette règle est valable dans chaque pays. Il faut toujours viser un port d’entrée officiel pour s’annoncer, avant de pouvoir se promener le long des côtes.
Depuis le début de notre voyage, nous avons pris l’option de nous mettre en règle dans chaque pays, ce que ne font pas tous les navigateurs. A la Barbade, nous avons marché plusieurs kilomètres pour trouver les services adéquats, logés dans le débarcadère des ferries. Dans trois bureaux différents, tous plus climatisés et encombrés de piles de papiers les uns que les autres, nous avons passé deux bonnes heures à remplir divers formulaires de toutes les tailles et de toutes les couleurs, en appuyant bien fort sur le stylo-bille pour que ça traverse le papier carbone. Nous avons attendu longtemps l’employée du bureau de santé, partie faire un tour, pour attester par écrit que nous n’avions ni la peste, ni le choléra, ni la fièvre jaune et qu’aucun membre d’équipage n’était décédé à bord durant les jours précédents. Bien sûr, nous avons également dû jurer que nous n’avions pas d’arme (exceptées nos fusées de détresse que nous avons dû déclarer), pas de drogue et préciser combien de bouteilles d’apéro nous stockons sur le bateau.
Trois jours plus tard, au moment du départ, nous avons refait la route, pour remplir les mêmes formulaires, en cochant la case "sortie" au lieu de la case "entrée".
Vous allez me dire : Pourquoi tu t’embêtes à faire tes papiers de sortie ? De toute façon il y a neuf chances sur 10 pour que tu ne remettes jamais les pieds dans ces pays. Tout simplement parce que, dès qu’on arrive dans une île, il faut présenter le papier de sortie de l’île précédente, qui précise la date et l’heure de notre départ.
A Tobago, l’agent de l’immigration était présent, mais sa collègue des douanes faisait son marché. Quand elle est enfin revenue avec ses cabas remplis de fruits et de légumes, elle nous a envoyés à la bibliothèque municipale faire neuf photocopies de nos formulaires dûment remplis (à nos frais bien évidemment), que nous lui avons docilement rapportées. Sur l’île de Bequia, nous avons attendu le préposé aux douanes pendant plus d’une heure, car il était parti accueillir un ferry de passagers. A Montserrat et à Saint Kitts, le débarcadère est entièrement encerclé de grillages. On ne peut pas entrer dans le pays sans avoir rempli les formalités. Les chauffeurs de taxis qui attendent les touristes n’ont pas le droit d’avoir de contacts avec eux tant que les passeports ne sont pas tamponnés. A Montserrat, nous sommes arrivés à 15 heures, mais les douaniers étaient en séminaire et nous avons dû patienter jusqu’au lendemain, 8 heures, pour avoir le droit de poser un pied à terre. A Saint-Kitts, nous avons perdu deux heures le jour du départ, car le serveur informatique était en panne.
A Anguilla le poste de douane était directement sur la plage. Une aubaine car on est arrivés juste avant la fermeture.
A Anguilla, fait exceptionnel, le bureau était sur la plage, la préposée était charmante et encore présente à 15h45, alors que le bureau fermait à 16 heures. Le rêve ! En revanche, aux îles vierges britanniques, nous avons été très mal reçus, par trois agents mal embouchés, bien protégés derrière leur guérite. Comme j’avais un trou de mémoire, j’ai demandé comment s’appelait la ville où nous étions (on avait navigué toute la nuit, j’ai des excuses). Le gars en uniforme derrière son guichet m’a rétorqué méchamment que si je naviguais je devais savoir où j’allais. Et à Laura, la fille de nos copains irlandais, qui lui demandait si elle pouvait lui emprunter un des trois stylos posés sur son bureau, il a répondu sur le même ton que tout le monde devait apporter son stylo pour remplir les formulaires.
Lui, c’est le chat de la marina de Fajardo (Puerto Rico), arrivé sans papiers avec le cyclone Irma, et jamais reparti.
Actuellement nous sommes à Porto Rico, une île américaine, pour laquelle nous avions officiellement besoin d’un visa pour entrer car nous arrivons sur un bateau privé. Ce visa, nous aurions dû aller le chercher à l’ambassade des Etats-Unis à Paris avant de partir, mais nous l’ignorions. Cela fait des semaines qu’on se demandait si on allait s’arrêter ou pas, car les Américains ne rigolent pas avec les frontières.
Heureusement il y a une combine. Lorsque nous étions aux îles vierges britanniques, nous avons pris un ferry pour nous rendre à Saint-Thomas, une île vierge américaine. En arrivant par cette voie classique, avec notre Esta (le papier qui permet aux touristes européens d’aller en vacances aux Etats-Unis), nous étions en règle. Nous avons été pris en photo et avons laissé les empreintes digitales de nos deux mains, pouces compris, pour obtenir un tampon sur notre passeport, qui nous accorde le privilège, pendant 90 jours, de nous rendre dans tout état américain. Cela nous a permis de faire une escale à Porto Rico, où nous avons été accueillis par une jeune femme très chaleureuse, dans un grand bureau lumineux, dans l’enceinte de l’aéroport, à deux kilomètres du ponton. Elle nous a gentiment sermonnés, car nous n’avons pas notre vrai visa, mais elle nous a délivré notre cruising license , notre autorisation de naviguer.
En dehors de ces petites tracasseries administratives, naviguer dans les Antilles, c’est la liberté totale. On vogue au gré du vent, on s’arrête où on veut, quand on veut… Et maintenant que Gilles s’est bien entraîné à sourire aux douaniers, et moi à remplir les formulaires, on va pouvoir aller à Cuba, qui paraît-il bat tous les records en matière de procédures douanières. Nous sommes armés de patience et de quelques canettes de bière. Il paraît que ça peut aider. Quant à vous, vous pourrez penser à nous la prochaine fois que vous ferez la queue à la Poste.